mercredi 5 octobre 2011

La province de Liège

On a longtemps cru que Liège tenait son nom de la rivière « Legia » qui portait, avant la conquête romaine, le nom celtique de « Glain » qui signifie « l’eau claire ». Cette origine est manifestement fausse. Une agglomération qui s’était formée au confluent du Glain et de la Meuse tomba dans le lot des rois au titre du domaine public, Vicus publicus ou Vicus leudicus (leud-icus, de leod : peuple), expression déclinant ensuite en Leudicum. D’après Godefroid Kurth, ce serait de ce Leudicum que seraient sortis les mots Leiodium, Leu dium, Legia, Legium, Lige (en wallon) et Liège.

L’actuelle province de Liège est, chacun le sait, l’héritage de l’ancienne principauté épiscopale du même nom.

Le pays de Liège a connu un développement entièrement différent de celui des autres territoires belges. Son évolution particulière a été largement influencée par deux faits prédominants : l’existence d’un cadre naturel (c’est-à-dire la vallée de la Meuse) et la vassalité, pendant de longs siècles à l’empire germanique.

Le territoire liégeois fut occupé primitivement par les Éburons qui furent exterminés par les Romains. Vers le milieu du IIIe siècle, une organisation épiscopale s’y établit.

Le christianisme fut introduit dans nos régions par les garnisons romaines des bords du Rhin et, plus particulièrement, par celle de Trèves, siège d’un épiscopat dés le milieu du IIIe siècle. Des évêchés distincts de celui de Trêves furent créés à Cologne par Saint Materne et à Tongres par Saint Servais au IVe siècle. Saint Monulphe transféra le siège de cet épiscopat à Maastricht vers l’an 500. Au début du VIIIe siècle, le Saint évêque Hubert, estimant Maastricht, sise au croisement de la chaussée Brunehaut et de la Meuse, un peu trop accessible aux invasions normandes, s’installa à Liège, qui n’était alors qu’un hameau où Saint Monulphe avait déjà bâti une chapelle 150 ans auparavant.

Les Normands saccagèrent en 881 tout le diocèse, y compris la nouvelle cité et formation qui après le départ des envahisseurs, prospéra rapidement, grâce à la proximité des « villæ » des rois carolingiens. En 925, le roi de Germanie, Henri l’Oiseleur, conquit la Lotharingie où se situait le diocèse de Liège et Othon 1er, son fils, l’attacha pour des siècles au Premier Empire. Les évêques de Liège devinrent ainsi des hommes liges de l’empereur à qui ils devaient prêter hommage en signe de sujétion. La Principauté de Liège proprement dite ne se constitua que vers 1100. Les évêques eurent, à cette époque, des vassaux tels que le comte de Hainaut et le comte de Namur. Le prince-évêque Otbert acheta au duc Godefroid, qui partait pour la Croisade, ses terres de Bouillon et de Couvin et il les joignit aux territoires qu’il contrôlait déjà, formant un fief puissant.

L’humeur batailleuse de certains princes-évêques s’opposa aux prétentions des princes voisins et, particulièrement, à celles des ducs de Brabant. Des guerres aux fortunes diverses s’ensuivirent. Henri 1er de Brabant brûla Liège en 1212 mais l’année suivante, les milices liégeoises, groupées autour de leur prince-évêque Hughes de Pierrepont, écrasèrent les Brabançons. Le Concordat de Worms (11 septembre 1122) qui abandonnait aux chanoines l’élection de leurs évêques fut un des éléments déterminants de la désagrégation de l’autorité impériale : l’influence allemande dans les territoires liégeois diminua progressivement et, petit à petit, le pays de Liège se dissocia pratiquement et spirituellement de la Germanie.
Dans la querelle qui opposa le pape aux princes allemands, Adolphe de la Marck, évêque de Liège (1313-1314), prit nettement position en faveur du Saint-Père et de son allié le roi de France ; ce dernier devint successivement arbitre, allié puis seigneur des évêques de Liège, dont les troupes combattirent pour lui notamment à Cambrai et à Tournai. Toutefois, ce changement de suzeraineté n’altéra pas pour autant la volonté d’indépendance des gens du pays de Liège qui continuèrent de tout mettre en œuvre pour échapper aux volontés des souverains étrangers.



Dans le même temps, le pays se transforma intérieurement. Le prince-évêque Albert de Cuyck avait octroyé en 1196, à la Principauté toute entière, une charte (photo) qui reconnaissait notamment la liberté individuelle de l’inviolabilité du domicile. C’était là un appréciable progrès social qui n’apportait toutefois pas la solution à tous les problèmes posés par l’évolution politique du XIIIe siècle.

En plus des guerres privées telle que la « guerre de la Vache » qui prit pour prétexte le vol, à Ciney, d’une génisse, et des interminables vendettas familiales des seigneurs féodaux, comme celle des Awans et des Waroux qui dura trente-neuf ans, des conflits naquirent entre les le prince et les Villes, les Chapitres cathédraux et les Nobles, les Grands (c’est-à-dire les riches propriétaires de houillères, maîtres de forges et fabricants d’armes) et les Petits qui constituaient la classe artisanale et prolétarienne. Les Petits, groupés en des communautés professionnelles qui, peu à peu, devinrent juridiques et politiques, n’acceptèrent plus de s’abandonner aux Grands. Les corporations prétendirent élire elles-mêmes leur bourgmestre. Alarmés par cette velléité d’indépendance, princes, clergé et noblesse se liguèrent contre les Petits qui, d’abord vaincus en 1251, remportèrent en 1313 une victoire sanglante, connue dans les annales liégeoises sous le nom de « Male Saint-Martin ». La paix d’Angleur, la paix de Fexhe en 1316 et la Paix des XXII en 1373 anéantirent le pouvoir politique des Grands et consacrèrent le triomphe des Corporations. Les princes-évêques durent partager le gouvernement avec leur Chapitre cathédral, leurs chevaliers et leurs villes, ces dernières personnifiées par les Métiers.

Au début du XVe siècle, les gens du pays de Liège, fort mécontents de leur prince-évêque Jean de Bavière, le déposèrent et élirent à sa place Thierry de Hornes. Les familles de Bourgogne et de Bavière, auxquelles l’évêque déposé était allié, intervinrent et leurs armées réunies écrasèrent, le 23 septembre 1408, les milices liégeoises dans la plaine d’Othée et, pendant neuf ans, la Principauté de Liège vécut sous un régime absolutiste.

Vers le milieu du XVe siècle, les Liégeois épousèrent fougueusement la querelle de leur suzerain Louis XI, roi de France, et ils entrèrent en guerre contre Philippe le Bon. Mal leur en prit : Liège, Dinant et la plupart des villes de la Principauté furent saccagées et perdirent tous leurs privilèges et monopoles. Ce ne fut qu’à la mort du Téméraire que le pays de Liège se releva et, en 1492, la France et les Pays-Bas reconnurent sa neutralité.

Après les effroyables épreuves du XVe siècle, la Principauté de Liège connut une période plus calme, sous le règne du prince-évêque Erard de la Marck (photo ci-dessous) et sous celui de ses successeurs. La cité de Liège reconstruisit ses murailles et ses tours. Dinant et les autres villes saccagées renaquirent de leurs cendres. L’industrie houillère, les forges du pays de Liège, l’orfèvrerie et l’agriculture prirent un essor nouveau. Le peuple liégeois reconquit rapidement une position privilégiées et les pouvoirs des Métiers de tardèrent pas à dépasser ceux du clergé et de la noblesse. En 1500, l’Etat de Liège fut incorporé dans le cercle de Westphalie par l’empereur Maximilien, ce qui fit de la cité, une ville impériale et presque libre puisqu’elle ne relevait que d’un monarque, l’empereur romain germanique, qui n’avait en fait qu’une semblant d’autorité. L’avènement des princes-évêques de la maison de Bavière, au trône de Saint Lambert, rompit cette ère de prospérité et de paix. Des troubles éclatèrent auxquels Maximilien de Bavière mit fin en promulguant le « Règlement de 1684 » qui abolissait les privilèges des Métiers et attribuait aux princes des droits absolus.


En 1789, électrisés par l’exemple des Parisiens qui venaient de prendre la Bastille, les Liégeois se soulevèrent contre leur prince-évêque César de Hoensbroeck (photo ci-dessous). Les Etats réunis du pays de Liège » proclamèrent sa déchéance. Les princes du cercle de Westphalie envoyèrent des troupes et la révolution liégeoise se termina par le rétablissement de César de Hoensbroeck. La répression qui suivit provoqua une émigration massive vers la France. En 1792, l’armée de la jeune République française, qui comptait dans ses rangs une « Légion belge » composée en majeure partie de réfugiés politiques liégeois, envahit la Belgique que la Convention annexa le 9 vendémiaire de l’an IV, c’est-à-dire le 1er octobre 1795.


La Principauté de Liège, amputée des territoires qu’elle avait possédés dans le Hainaut, le Namurois et le Luxembourg, devint alors le département de l’Ourthe et, en 1830, une des neuf provinces de la Belgique indépendante.

S.M. le Roi Albert, fils puiné du roi Léopold III et 6ème Roi des Belges, reçut le titre de Prince de Liége le 7 juin 1934 en hommage à la Résistance de la ville durant la Première Guerre Mondiale.


Bernard Coomans de Brachène
Membre de Pro Belgica
Administrateur de Pro Belgica

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